UDRP : Caillebotte.com

Résumé — Les ayants-droit du célèbre collectionneur, mécène et peintre impressionniste Gustave Caillebotte (1848-1894) avaient initié une procédure UDRP à l’encontre d’une société néo-zélandaise afin d’obtenir le transfert du nom de domaine caillebotte.com. Leur demande a été rejetée pour défaut de marque.

Abstract in English — This post comments the WIPO case D2008-0778 (caillebotte.com) where the panel denied a complaint filed by the heirs of the French impressionist painter and art collector Gustave Caillebotte. The discussion focuses on paragraph 4(a)(i) of the Policy since the complainants did not demonstrate that they were in any way involved with commerce associated with the “Caillebotte” name.

Cette contribution est la version revisitée d’un article initialement publié sur DomainesInfo.fr, le 6 août 2008.

Gustave Caillebotte (1848-1894), connu pour être un mécène et collectionneur fortuné, n’en a pas moins laissé des œuvres magistrales dont certaines ornent aujourd’hui les allées de prestigieux musées tels que le Musée d’Orsay ou la National Gallery. A sa mort, Caillebotte légua à l’Etat français une part substantielle de la collection qu’il avait constituée auprès des impressionnistes les plus glorieux : Cézanne, Degas, Manet, Monet, Pissarro, Renoir ou Sisley. Ce legs, dont l’exécution a changé la face de l’histoire de l’art, fut rédigé dans les termes suivants :

« Je donne à l’État les tableaux que je possède ; seulement comme je veux que ce don soit accepté et le soit de telle façon que ces tableaux n’aillent ni dans un grenier ni dans un musée de province mais bien au Luxembourg et plus tard au Louvre, il est nécessaire qu’il s’écoule un certain temps avant l’exécution de cette clause jusqu’à ce que le public, je ne dis pas comprenne, mais admette cette peinture. Ce temps peut être de vingt ans ou plus ; en attendant, mon frère Martial et à son défaut un autre de mes héritiers les conservera. Je prie Renoir d’être mon exécuteur testamentaire et de bien vouloir accepter un tableau qu’il choisira ; mes héritiers insisteront pour qu’il en prenne un important » (Testament conservé aux Archives départementales de Seine et Marne).

Désignés comme exécuteurs testamentaires, Auguste Renoir et Martial Caillebotte (frère de Gustave) ne parvinrent à faire accepter à l’administration qu’une fraction du legs. Martial prit possession des œuvres qui n’avaient pas été choisies par l’Etat. Ce sont ses héritiers qui ont introduit une procédure UDRP afin de récupérer le contrôle du nom de domaine caillebotte.com.

Il fut un temps où ce dernier appartenait aux héritiers de Caillebotte. Mais il fut accaparé par un tiers qui avait vraisemblablement placé une option sur le nom de domaine au cas où, faute de renouvèlement, celui-ci se retrouverait à nouveau disponible. Il est, en effet, dans la nature du domainer d’être attentif aux opportunités offertes sur le marché du nommage Internet. Par la suite, le nom de domaine caillebotte.com fit l’objet d’une vente aux enchères. Moins médiatisé que le marché de l’art, le marché des noms de domaine n’en est pas moins profitable : si les « Femmes d’Alger, Version O », de Picasso s’est vendu à 179,36 millions de dollars, le nom de domaine business.com s’est, quant à lui, échangé pour 345 millions (site Internet compris, il est vrai). En l’occurrence, c’est la société néo-zélandaise MindViews LLC qui avait acquis caillebotte.com (le montant de la transaction n’est pas connu). Et c’est ainsi qu’elle s’est retrouvée défenderesse dans une procédure UDRP diligentée par les héritiers de Caillebotte [1].

La question déterminante que le tiers décideur devait trancher était celle de la nature du droit dont les huit héritiers se revendiquaient.

Revenons sur les principes directeurs UDRP. Ceux-ci exigent du demandeur qu’il démontre l’existence de droits sur une marque (article 4(a)(i)), enregistrée ou non.

Pour satisfaire à cette condition, les demandeurs démontraient, preuves généalogiques à l’appui, qu’ils étaient les descendants du frère de Gustave Caillebotte. Et à cette argumentation était juxtaposée celle de la célébrité du nom « Caillebotte ». Ils en déduisaient l’existence d’un droit de marque.

Ce raisonnement ne pouvait prospérer. Comme l’indique le tiers décideur :

« le fait que Gustave semble être le plus célèbre Caillebotte à ce jour ne résout pas la question de savoir si le nom de la famille Caillebotte a acquis une signification secondaire désignant des biens ou des services ou autrement dit, s’il est utilisé comme marque de commerce ou de service au sens de l’article 4(a)(i) des principes directeurs UDRP ».

Ce litige, sur un nom de domaine identique au nom d’une célébrité décédée, n’est pas un cas d’école. La « jurisprudence » extra-judiciaire relative aux litiges portant sur des noms de domaine offre en effet un certain nombre d’illustrations, dont certaines concernaient les noms d’autres grands maîtres de la peinture. A titre d’illustrations, les noms de domaine vodkachagall.com [2], fundacionpicasso.com, museopicassomalaga.com, museopicassodemalaga.com [3] et vangoghmuseum.com [4], après des procédures UDRP réussies, ont respectivement été transférés au Comité Marc Chagall, à l’indivision Picasso et aux entreprises Van Gogh Museum BV.

Qu’est-ce qui explique l’échec des demandeurs dans l’affaire caillebotte.com ? Une observation s’impose d’emblée quant à la composition des noms de domaine suivants : vodkachagall.com, fundacionpicasso.com, museopicassomalaga.com, museopicassodemalaga.com et vangoghmuseum.com. A l’exception du premier (vodkachagall.com), tous sont formés, non seulement du nom de l’artiste, mais également de celui de l’institution habilitée à en gérer les droits (musée et/ou fondation). C’est une donnée importante dans la mesure où le choix d’un nom de domaine composé de l’un et de l’autre révèle indubitablement la mauvaise foi de celui qui se l’est accaparé, la manoeuvre consistant, dans le pire des cas, à priver les ayants-droit d’un nom de domaine et, dans le meilleur des cas, à parasiter le site officiel. A l’opposé, enregistrer le nom de l’artiste peut trouver une justification légitime au titre de l’homonymie ou de l’admiration (ce qui relèvera de la liberté d’expression). Surtout, dans les affaires mentionnées « Chagall », « Picasso » et « Van Gogh », chacune des parties demanderesses étaient propriétaires de marques enregistrées et effectivement exploitées à des fins de commerciales, ce qui, en tout état de cause, demeure déterminant.