Cet article fut initialement publié sur Juris-nd.com, le 23 novembre 2003.
Introduction
Les noms de domaine internationalisés (IDNs) ou multilingues ont la particularité de supporter les caractères non-ASCII, c’est-à-dire autres que A à Z, 0 à 9 et tirets, tels que les lettres accentuées, l’alphabet arabe, cyrillique ou encore les caractères asiatiques (chinois, japonais, coréens, etc.).
Les IDNs, dont la mise en place officielle est intervenue en juin 2003 (annonce de l’ICANN), risquent de poser des problèmes de droits de propriété intellectuelle. Quelques expériences (dites testbed) avaient été lancées notamment par Verisign, mais les noms de domaine ainsi proposés ne pouvaient qu’être enregistrés, non activés. Des interactions ou cas de cybersquatting sont néanmoins survenus.
Les autorités administratives (l’AFNIC en première ligne) s’interrogent sur le point de savoir si la structure actuelle de ces nouveaux noms de domaine est appropriée au contexte “squattogène” suscité par leur mise en place.
Aujourd’hui, le nommage Internet continue de se développer et d’apporter de nouveaux outils destinés à favoriser la visibilité et l’identité des e-entreprises. Le <.fr> se libéralise et le <.eu>, bien qu’il se fasse attendre, ne manquera pas de se faire enendre rapidement. Nous vous proposons ce dossier qui devrait vous permettre de prendre le train en marche dans de bonnes conditions.
1. De l’adresse IP aux IDNs
Nous revenons ici sur l’évolution du système de nommage (DNS) et sur ses grandes lignes techniques .
L’Internet est né dans les années 50, des recherches effectuées dans les milieux militaires et universitaires américains. Jusque dans les années 90, l’adressage ne se faisait que par l’intermédiaire de l’adresse IP (Internet Protocol), ce système ne possédant qu’une très faible qualité mnémonique puisque les adresses n’étaient constituées que de chiffres (une série de quatre nombre inférieurs à 236 ; ex : 230.127.90.120).
Ont dès lors été introduits les noms de domaine. Ces derniers pouvant supporter non plus seulement des chiffres, mais aussi des lettres, ils sont légitimement considérés comme les éléments essentiels du développement mondial de l’Internet. Un nom de domaine “classique” est composé uniquement de chiffres (0 à 9), de caractères latins (a à z) et d’autres caractères tels que les tirets. C’est ce que l’on appelle le système ASCII (American Standard Code for Information Interchange).
À l’origine, l’Internet a été conçu dans une perspective militaire et universitaire, en particulier pour faciliter la correspondance entre les chercheurs des universités américaines. Les normes définies pour le DNS (Domain Name System) n’ont donc pas été élaborées pour des applications étrangères au gouvernement américain. Le DNS, et donc les noms de domaine, a été créé par et pour des autorités américaines, ce qui explique que, techniquement, il est incapable de reconnaître un idéogramme, un caractère accentué ou tout autre caractère extérieur à l’alphabet anglo-saxon. Or, aujourd’hui, l’Internet se développe dans un contexte internationalisé et pluridisciplinaire. Par conséquent, le DNS doit pouvoir supporter des caractères autres que ceux appartenant à la norme ASCII, ce sont les noms de domaine internationalisés ou multilingues (IDNs).
Un IDN est donc un nom de domaine comprenant un ou plusieurs caractères non-ASCII. Les travaux portant sur les IDNs ont commencé dès les années 80, mais c’est dans le courant des années 1999/2000 que les recherches se sont accélérées lorsque l’ICANN a chargé l’Internet Engineering Task Force (IETF) de mettre en place des normes internationales capables d’admettre des noms de domaine internationalisés.
L’IETF a dès le départ adopté le principe fondamental selon lequel la normalisation nécessaire à l’existence des IDNs ne doit pas affecter le serveur DNS actuel. À partir de là, l’objectif est de convertir les caractères multilingues en caractères ASCII, ce qui nécessite l’adoption d’une norme (on parle de ACSII-compatible-Encoding : ACE). Pour simplifier (presque à outrance !), la mise en oeuvre de cette norme étendue consiste :
– d’une part, dans la création d’une structure capable d’inclure la plupart des caractères utilisés de part le monde (alphabets asiatiques, les caractères arabes, hébreux, indiens, européens…). Cette norme existe, c’est l’ISO 10646-Unicode ou “jeu universel de caractères”. C’est sur la base de cette norme que le contenu HTML d’une page peut supporter des caractères non-ASCII. Il suffit donc de le réutiliser dans une URL.
– d’autre part, dans l’adoption d’un préfixe, comme norme standard des IDNs ; celle-ci a été publiée le 12 février 2003 par l’IESG (Internet Engineering Steering Group) : « xn » , ce qui permet de différencier un nom de domaine de type “ACE” d’un nom de domaine de type “ASCII”. La norme a été approuvée par l’ICANN le 27 mars 2003. Précisons que ce préfixe « .xn » est différent de celui que l’on retrouve parmi les IDNs enregistrés notamment à l’occasion des expérimentations de Verisign qui était « bq ».
– enfin, côté client, dans l’adaptation des navigateurs (les plus courants étant Internet Explorer et Netscape), ce qui devrait s’effectuer dans un délai relativement cours, compte tenu de la situation quasi monopolistique de ces deux navigateurs.
Ainsi, pour reprendre l’exemple donné par l’AFNIC, le nom de domaine ” été.com” s’écrit comme suit :
– côté serveur : xn_zstzs (la transcription ou codage du “é” étant “zs”)
– côté client : <été.com>, la navigateur, une fois mis à jour, fait le reste (Verisign propose d’ailleurs de télécharger le plug-in ” i-Nav ” et de le tester sur un site qui offre des canapés, comme quoi la mise en place des IDNs fut un dur labeur !
Le déploiement des noms de domaine internationalisés intervient officiellement le 20 juin 2003 avec l’annonce de l’ICANN.
La mise à disposition des noms de domaine s’arrête-t-elle ici ? Il faut certainement répondre par la négative. Les efforts de l’IETF, entre autres, doivent effectivement se poursuivre sur le terrain du courriel et des moteurs de recherche.
– s’agissant du courriel, rappelons que celui-ci est composé d’une partie privée (prénom, nom, par exemple), suivi de l’@ et du nom de domaine. S’il est désormais possible d’enregistrer le nom de domaine <lagardère.com>, nul ne peut enregistrer un courriel privé comportant des caractères non-ASCII. La méthode de transcodage devrait être la même, il faut donc s’attendre à une mise à jour des logiciels tels que Outlook Express ou Eudora.
– quant aux moteurs de recherches, ceux-ci ne référencent pas, pour le moment, les URL dotées d’IDNs.
Enfin, les TLDs multilingues sont à l’étude.
2. L’intérêt des IDNs
« L’ Internet pour tous », tel est le slogan de l’Internet Society. Les enjeux sont à la fois culturels et stratégiques.
2.1. Les enjeux culturels
Seulement 8 % de la population mondiale est connectée au réseau Internet. 92 % de la population mondiale a comme langue maternelle une langue autre que l’anglais. Les chiffres parlent d’eux mêmes : l’internationalisation des noms de domaine était incontournable.
Les IDNs sont garants des disparités culturelles et de la souveraineté nationale. L’Internet pour tous, tel est le slogan de l’Internet Society : c’est pour cette raison que l’on s’est rapidement penché sur la possibilité d’intégrer du contenu non-ASCII dans les pages HTML.
2.2. Les enjeux stratégiques
Les noms de domaine internationalisés permettent d’accroître la corrélation entre visibilité réelle et visibilité virtuelle. Or, les entreprises souhaitent que l’Internet leur offre, autant que possible, les avantages promotionnels du monde réel. Les noms de domaines ne sont pas seulement des adresses URL, ils sont, par excellence, les signes attractifs de la clientèle internaute, l’identité virtuelle d’une personne physique ou morale. Or, les noms de domaine de type ASCII n’offrent que peu de possibilité aux entreprises qui souhaitent promouvoir leurs produits et services, notamment au niveau local. Il faut surtout préciser que, jusqu’ici, nombre d’entre elles se voyaient contraintes d’enregistrer leurs marques et noms commerciaux avec des noms de domaine ” approximatifs”.
Au niveau local, les IDNs offrent des perspectives nouvelles aux pays non anglophones, où la demande Internet s’accroît fortement.
C’est en Asie et en Afrique que les nouvelles connexions Internet sont les plus nombreuses, ainsi qu’en Europe (principalement l’Europe orientale). D’une manière générale, il s’agit des pays en voie de développement. Pourtant, le commerce électronique ne décolle pas. Cela est certainement dû au pouvoir d’achat local, mais peut-être faut-il tenir compte des difficultés d’identification et de visibilité, lesquels pourront être résolus par l’introduction des IDNs. À cet égard, les pays asiatiques n’ont pas attendu l’officialisation de l’ICANN pour se permettre l’enregistrement de noms de domaine sous forme d’idéogrammes chinois, japonais ou coréens.
La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) s’est réunie à Genève le 15 novembre 2002. Le rapport publié dans le cadre de cette conférence développe l’importance des IDNs pour l’économie des pays en voie de développement (p.34).
« These new developments have an obvious relevance for developing countries. There is broad recognition that IDNs offer the potential to increase Internet use for a significant segment of the world’s population, whose native language is written in non-Latin scripts ».
Le rapport poursuit en prenant l’exemple de la Chine : un Chinois, au lieu de chercher un terme en anglais pour exprimer une identité, pourra utiliser la technologie IDN pour choisir un nom de domaine composé d’idéogrammes chinois. En 2007, le Chinois sera la lange la plus répandue sur Internet.
Par ailleurs, le rapport préconise l’introduction de TLDs internationaux.
3. L’ICANN et les noms de domaine internationalisés
En matière de noms de domaine multilingues, la politique de l’ICANN repose sur le principe d’égalité : chaque internaute, de part le monde, doit pouvoir consulter l’Internet dans sa langue natale. À partir de là, l’objectif n’est plus seulement économique, il est aussi culturel. L’ICANN, organisme à but non lucratif, se voit ainsi attribuer un rôle quasi onusien.
Mis en place en 1998 pour réguler la gestion des noms de domaine de la façon la plus efficace, l’ICANN a su apporter des améliorations considérables dans l’attribution des noms et la résolution des conflits, en jouant la carte de la prudence. Sa politique vis-à-vis des IDNs a suivi le même chemin. Malgré la demande accrue de noms de domaine internationalisés, “le gouvernement du nommage” a imposé, dans la mesure du possible, une vision pondérée dans la mise en place de ces nouveaux noms.
Dans une résolution du 25 septembre 2000, l’ICANN reconnaît comme principe, la nécessité d’élargir le DNS aux noms multilingues. Il insiste néanmoins sur les risques que provoquerait un déploiement non contrôlé des IDNs et interpelle les registres et les registraires notamment sur la protection des droits de propriété intellectuelle et la nécessité de ne pas porter atteinte au DNS, ni à l’unicité de celui-ci. Le passage aux IDNs ne doit en aucun cas perturber la stabilité du système de nommage.
C’est le 27 mars 2003 que le conseil de l’ICANN a approuvé la mise en oeuvre des directives relatives aux autorisations d’enregistrement et à l’utilisation des IDNs. Le conseil a notamment encouragé la participation d’experts linguistiques au stade de l’enregistrement.
3.1. L’annonce officielle du déploiement des IDNs et les Directives de l’ICANN pour l’exécution des IDNs (version 1.0)
Le déploiement des IDNs est officiellement annoncé le 20 juin 2003, l’occasion de publier les Directives pour l’exécution des IDNs.
Pour l’essentiel, les adhérents aux directives s’engagent à utiliser des règles spécifiques à la langue d’enregistrement et d’administration ; celles-ci doivent être publiquement disponibles. De même, les registres doivent constituer une base de données Whois. L’ICANN rappelle la nécessité de ne pas altérer le système de nommage (DNS). Quelques registres y ont dors et déjà adhéré : JPNIC (pour le Japon <.jp>), CNNIC (pour la Chine <.cn>), NICTW (pour Taïwan <.tw>), Afilias (pour le <.info>) et Public Interest Registry (pour le <.org>).
3.2. Les TLDs multilingues
Dans un document intitulé “discussion paper” publié le 16 avril 2002, l’ICANN indique sa volonté de ne pas écarter l’idée de TLDs multilingues. Celle-ci est à l’étude.
4. IDNs et propriété intellectuelle : synthèse des premières décisions UDRP
L’internationalisation des noms de domaine est une étape extrêmement importante dans le processus d’amélioration de l’identification et de l’individualisation des produits et des services d’une entreprise. Naturellement, la mise à disposition des IDNs favorise l’émergence de nouvelles interférences entre des signes plus ou moins significatifs d’une langue à l’autre. Une nouvelle vague de cybersquatting est à redouter, mais il faut certainement s’attendre à une multitude de litiges, au-delà même des cas de mauvaise foi. L’analyse juridique devra alors s’accompagner d’une expertise linguistique, ce qui n’est pas sans rappeler les interférences déjà rencontrées dans le cadre du droit international des marques.
C’est pourquoi l’ICANN s’est montré relativement prudente dans la mise à disposition officielle des IDNs, en condamnant au passage les essais effectués notamment par Verisign. Les IDNs ainsi enregistrés ont donné lieu à plusieurs litiges que nous pourront analyser ci-après.
4.1. Les consortiums et les bancs d’essais de Verisign
Plusieurs entités, parfois réunies en consortiums, se sont très vite penchées sur les différentes possibilités techniques et politiques susceptibles d’accélérer l’accession aux noms de domaine multilingues. C’est le cas du MINC (Multilingual Internet Consortium) du CDNC (Chinese Domain Name Consortium), du CENTR (Council of European National TLD Registries), du JDNA (Japanese Domain Names Association), du Cyrillic Languages Internet Names Consortium) et de l’AINC (Arabic Internet Names Consortium). La forte demande de noms de domaine internationalisés est donc largement perceptible, mais la multitude de ces entités risquait de compromettre l’uniformité et l’homogénéité de l’Internet en créant des incompatibilités entre les différents protocoles ainsi élaborés. C’est la raison pour laquelle il a été créé un groupe de travail au sein de l’Internet Society : l’IETF (Internet Engineering Task Force).
Cet engouement pour les IDNs devait nécessairement croiser celui des extensions les plus sollicitées (le <.com> et le <.net>) et il paraissait logique que la société Verisign Global Registry se lançât sur un marché aussi fructueux. Dès le 22 août 2000, elle annonça la mise à disposition de noms de domaines multilingues sous ces deux gTLDs avec cette limite non négligeable : ils pouvaient simplement être enregistrés, la technologie ne permettant pas de les connecter à un site, à moins que les navigateurs soient adaptés côté client. Cette politique a été jugée prématurée par l’ICANN et l’IETF. Qu’importe, 900.000 noms de domaine furent ainsi enregistrés. L’intérêt résultait surtout dans le principe du « Premier arrivé, premier servi ». C’est incontestable, la course aux noms de domaine trouve un nouveau souffle dans les IDNs.
Néanmoins, il faut préciser que ces « pré-enregistrements » présentent une faible valeur juridique. En effet, il ne s’agit pas d’une « sunrise period » comme celles établies pour certains gTLDs de deuxième génération (par exemple, le <.biz>) et aucune procédure spécifique de règlement des conflits n’a pu être adoptée puisque l’ICANN s’opposait à ces expérimentations. Par conséquent, seul l’état limité de la technique justifie l’appellation de « pré-enregistrement », préférée à celle d’ « enregistrement ». Dans de telles circonstances, les Principes directeurs devaient pouvoir être appliqués. C’est ainsi que plusieurs procédures UDRP ont été diligentées devant les institutions de règlement.
4.2. Analyse des litiges résultant de l’enregistrement d’IDNs
L’UIT (Union Internationale des Télécommunications) et l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) ont proposé que les dispositions du droit international des marques (1) soient appliquées aux cas de contrefaçon ou de concurrence déloyale résultant de l’utilisation de noms de domaine internationalisés : « ces textes ont pour objet d’éviter les conflits entre marques de produits et de services de langues différentes et contiennent des dispositions particulières concernant l’enregistrement et la protection des marques, de leurs traductions et translittérations (2) ».
L’analyse des premiers litiges relatifs aux noms de domaine internationalisés permet de nous faire une idée de l’appréhension du problème par les institutions de règlement. Ces décisions ont été rendues pour des IDNs comportant des caractères français (D2001-0781, D2001-1263), danois (D2002-0337), allemands (D2001-0347 ; FA0305000158427), suédois (D2002-0023), norvégien (D2001-809 ; D2002-0173) ou espagnol (D2002-0877). Mais les conflits les plus courants portent sur IDNs prenant la forme d’idéogrammes asiatiques : en chinois (D2001-0098 ; D2001-0100 ; D2001-0750 ;D2001-1025 ;D1204 ; D2001-1305 ; D2003-0756 ; HK-0300026), en japonais (D2000-1791 ; D2001-0203 ; D2001-0307 ; D2001-0532 ; D2001-0620 ; D2001-0817 ; D2001-1113 ; D2002-0357 ; D2002-0587 ; D2002-0798 ; DTV2001-0030).
La question de l’applicabilité des Principes directeurs a été posée et résolue positivement, ces règles ayant été adoptées pour résoudre les conflits d’intérêt entre le propriétaire d’une marque et le titulaire d’un nom de domaine. Les IDNs ayant strictement la même fonction que les noms de domaine , ils ne doivent pas en être écartés (D2000-1791 ; D2002-0023 ; D2002-0337).
Nombre de ces litiges sont élevés pour des enregistrements effectués pendant les essais de Verisign ; ce « multilingual test bed » est d’ailleurs souvent cité en référence (D2001-0347 ; D2001-0809 ; D2000-1791 ; D2002-0023 ; D2002-0173 ; D2002-0337 ; FA0305000158427). Or, ces noms de domaine multilingues ne débouchant sur aucun site (3), il fallait s’interroger à nouveau sur l’exigence d’une démonstration, par le requérant, d’une utilisation de mauvaise foi par le défendeur. En effet,
l’inactivité du site attaché au nom de domaine litigieux constitue, en principe, un indice de mauvaise foi du défendeur ; cette jurisprudence a été rappelée à maintes reprises (4). Or, dans la plupart des cas soumis aux arbitres, les titulaires des IDNs se voient dans l’impossibilité de créer leur site. Cette cause extérieure à la volonté du registrant lui est elle opposable ? Dans l’immédiat, nous sommes tentés de répondre par la négative. En effet, le seul enregistrement ou « pré-enregistrement » d’un IDN inutilisable à un moment donné n’en démontre pas nécessairement la mauvaise foi du registrant qui agirait dans un but préventif et défensif. Dans un tel cas de figure, il lui faudra démontrer des droits et intérêts légitimes incontestables. Par contre, certaines circonstances peuvent indiquer à l’arbitre que le défendeur a effectivement agi de façon malhonnête. Par exemple, le fait d’avoir enregistré <rémy-cointreau.com> le lendemain du jour où il devenait possible d’obtenir un nom de domaine avec un accent « é » a été jugé comme constituant un indice de mauvaise foi (D2001-1263). A fortiori, la mauvaise foi du registrant est établie lorsqu’il propose à la vente, sur un site marchand, un nom de domaine qu’il valorise en reconnaissant lui-même le caractère notoire : « Fortunéo – the famous web site of the on-line broker, but with an accent » (D2001-0781).
S’agissant du risque de confusion, il est important de relever l’application des méthodes de traduction et de translittération dans la décision D2001-0620. Dans cette affaire, les caractères composant le nom de domaine multilingue étaient légèrement différents de ceux constituant la marque du requérant. Néanmoins, la commission a relevé que ces différences étaient trop insignifiantes pour conclure à l’existence d’un risque de confusion certain : « the panel finds that the difference is not significant. From Chinese users’ point of view, the two words have just same meaning and same pronunciation. In fact, they are interchangeable ».
Par ailleurs, l’adjonction d’un accent sur une des lettres de la marque ne suffit pas à évincer la confusion : « The only disparity between the two terms being the fact that in the Domain Name, the Respondent replaced the “e” in the Complainant’s “Fortuneo” trademark by an “é” (…) this fact alone is sufficient to conclude that the Domain Name is confusingly similar to Complainant’s FORTUNEO trademark » (D2001-0781).
Enfin, d’une manière générale, on remarque que le cybersquatteur d’IDNs officie en s’appuyant sur les méthodes utilisées en matières de « noms de domaine ascii ». Les noms scrupuleusement choisis sont toujours des marques jouissant d’une notoriété incontestable sur une zone géographique donnée (5) et la plus-value gagnée sur la revente du nom multilingue reste l’objectif premier (6) : « the Registrant was actually a bad-faith pre-emptive registrant whose sole purpose for the registration was for selling, renting, or otherwise transferring the Domain Name registration for profits » (D2001-0915 et D2001-1025).
Notes
1. Voir notamment : les articles 6 bis et 10 bis de la Convention de Paris ; les articles 15 et 16 de la Convention sur les Accords sur les ADPIC (Annexe 1 du dossier)
2. Document de travail de l’OMPI – Les noms de domaine internationalisés : aspects relevant de la propriété intellectuelle (colloque commun UIT/OMPI, Genève 6 et 7 décembre 2001), page 7, n°12 in fine.
3. D2000-1791 : « By the nature of its Testbed status, MDN registration is not fully functional as of the date of the Complaint being filed ».
4. Par exemples : D2000-0003 ; D2000-0867 ; FA0303000151547.
5. Par exemples : D2002-0023 ; D2002-0173 .
6. Par exemples : D2001-0781 ; D2001-0809 ; D2001-0915 ; D2001-1305 .
Lexique des IDNs
Alternative racines. La navigation Internet est basée sur le Domain Name System (DNS), créé au début des années 80 ; c’est en quelque sorte la racine. Comme le DNS ne pouvait pas supporter l’intégration de noms de domaine composés de caractères non-ascii, certaines structures se sont orientées vers la création de racines alternatives. L’ICANN et l’IETF se sont élevés contre ces pratiques au nom du principe selon lequel l’Internet doit être basé sur une racine unique, le DNS.
ASCII. American Standard Code for Information Interchange. C’est le système d’encodage original de l’Internet, ne pouvant supporter que les caractères anglophones (A à Z), les chiffres arabes (0 à 9) et les tirets.
Consortiums intervenant dans le domaine des IDNs :
- AINC. Arabic Internet Names Consortium . http://www.arabicdomainname.org
- APNG. Asia Pacific Networking Group . http://www.apng.org
- CENTR. Council of European Top Level Domain Registries . http://www.centr.org
- CDNC. Chinese Domain Name Consortium . http://www.cdnc.org
- JDNA. Japanese Domain Names Association . http://www.jdna.jp/index-e.html
- MINC. Multilingual Internet Consortium . http://www.minc.org
DNS. Domain Names System. Système Internet d’adressage permettant de « transformer » une adresse IP (Internet Protocol), c’est-à-dire une suite de chiffres, en une adresse alphanumérique plus conviviale et par conséquent plus facilement mémorisable. Le DNS est donc un élément important de l’identification et de la localisation des utilisateurs de l’Internet. L’évolutivité et la convivialité de l’Internet dépendent du DNS.
IDN. Internationalised Domain Name. Nom de domaine internationalisé comportant des caractères non-ascii. Aussi appelé « Noms de domaine multilingues ».
IETF. Internet Society l’Internet Engineering Task Force (IETF). Le groupe IETF a été créé au sein de l’ISOC notamment pour concevoir des normes internationales destinées à favoriser l’accession aux noms de domaine multilingues. Il identifie les besoins et les conséquences techniques en matière d’IDNs. Son but principal est d’établir un code standard destiné à permettre l’existence des IDNs sans que cela ne nuise à l’intégrité du DNS. Site : http://www.i-d-n.net
ISOC. Internet SOCiety. Organisation internationale regroupant plus de 150 associations, l’ISOC a pour objet le maintien et le développement de l’Internet. Elle a en quelque sorte un rôle de coordinateur autour des aspects techniques et politiques de l’Internet. L’IETF est un groupe créé au sein de l’ISOC. Site : http://www.isoc.org.
Non-ascii. Non American Standard Code for Information Interchange . Ce qui n’appartient pas aux jeux de caractères de type ascii (lettres anglophones, chiffres et tirets). Les caractères non-ascii donc infiniment nombreux, il peut s’agir de lettres accentuées, de caractères appartenant à l’alphabet cyrillique (Europe) ou d’idéogrammes (asiatiques ou arabes). L’Internet ayant été conçu par les Américains essentiellement pour des raisons militaires pendant les années 50, l’établissement d’un système capable de supporter des caractères autres que ascii ne se fit par ressentir. La question n’a commencé à être posée qu’au début des années 80.
RACE. Row-based ASCII-Compatible Encoding. C’est le système d’encodage utilisé par Verisign pour convertir les caractères latins en caractères non-ascii.
Traduction. « La traduction – littérale ou conceptuelle – consiste à transposer la marque dans une autre langue ou un alphabet différent tout en lui conservant son sens initial » (Document de travail de l’OMPI – Les noms de domaine internationalisés : aspects relevant de la propriété intellectuelle (colloque commun UIT/OMPI, Genève 6 et 7 décembre 2001), page 13, n°24).
Translittération. « La translittération ou translittération phonétique consiste à transcrire la marque à l’aide d’un système d’écriture différent, mais de manière à obtenir une prononciation qui reproduit le son de la marque d’origine ou celui de sa version latinisée » (Document de travail de l’OMPI – Les noms de domaine internationalisés : aspects relevant de la propriété intellectuelle (colloque commun UIT/OMPI, Genève 6 et 7 décembre 2001), page 13, n°24).
UIT. Union internationale des télécommunications. Organisation internationale créée à Paris le 17 Mai 1865 à l’occasion de la première convention internationale sur le télégraphe. Site : http://www.itu.int.
Verisign Global Services. Société en charge des extensions de premier niveau <.com> et <.net>. Originairement, elle gérait aussi le <.org>, qui est désormais administré par le Public Interest Registry (PIR : http://www.pir.org). Site : http://www.verisign.com.